• Acte I scène 4 MODIF

    SCÈNE IV

    VALÈRE, LUCAS, MARTINE.

    LUCAS.[...]-Je ne sais pas moi, ce que nous pensons attraper.

    VALÈRE.- Que veux-tu,[...] il faut bien obéir à notre maître : et puis, nous avons intérêt, l’un et l’autre, à la santé de sa fille, notre maîtresse, et, sans doute, son mariage différé par sa maladie, nous vaudrait  quelque récompense. [...]

    MARTINE, rêvant à part elle.- Ne puis-je point trouver quelque invention pour me venger ?

    LUCAS.- Mais quelle fantaisie s’est-il boutée là dans la tête, puisque les médecins y ont tous perdu leur latin ?

    VALÈRE.- On trouve quelquefois, à force de chercher, ce qu’on ne trouve pas d’abord : et souvent, en de simples lieux...

    MARTINE.- Oui, il faut que je m’en venge à quelque prix que ce soit : ces coups de bâton me reviennent au cœur, je ne les saurais digérer, et... (Elle dit tout ceci en rêvant : de sorte que ne prenant pas garde à ces deux hommes, elle les heurte en se retournant, et leur dit) Ah ! Messieurs, je vous demande pardon, je ne vous voyais pas : et cherchais dans ma tête quelque chose qui m’embarrasse.

    VALÈRE.- Chacun a ses soins dans le monde : et nous cherchons aussi, ce que nous voudrions bien trouver.

    MARTINE.- Serait-ce quelque chose, où je vous puisse aider ?

    VALÈRE.- Cela se pourrait faire, et nous tâchons de rencontrer quelque habile homme, quelque médecin particulier, qui pût donner quelque soulagement à la fille de notre maître, attaquée d’une maladie qui lui a ôté, tout d’un coup, l’usage de la langue. Plusieurs médecins ont déjà épuisé toute leur science! 

    MARTINE. Elle dit ces premières lignes bas.- Ah ! que le Ciel m’inspire une admirable invention pour me venger de mon pendard. (Haut.) Mais nous avons ici, un homme , le plus merveilleux homme du monde, pour les maladies désespérées.

    VALÈRE.- Et de grâce, où pouvons-nous le rencontrer ?

    MARTINE.- Vous le trouverez, maintenant, vers ce petit lieu que voilà, qui s’amuse à couper du bois.

    LUCAS.- Un médecin qui coupe du bois ![...]

    MARTINE.- Non, c’est un homme extraordinaire, qui se plaît à cela, fantasque, bizarre, quinteux , et que vous ne prendriez jamais, pour ce qu’il est. Il va vêtu d’une façon extravagante, affecte, quelquefois, de paraître ignorant, tient sa science renfermée, et ne fuit rien tant tous les jours, que d’exercer les merveilleux talents qu’il a eus du Ciel, pour la médecine.

    VALÈRE.- C’est une chose admirable, que tous les grands hommes ont toujours du caprice, quelque petit grain de folie mêlé à leur science  .

    MARTINE.- La folie de celui-ci, est plus grande qu’on ne peut croire : car elle va, parfois, jusqu’à vouloir être battu, pour demeurer d’accord de sa capacité : et je vous donne avis que vous n’en viendrez pas à bout, qu’il n’avouera jamais, qu’il est médecin, s’il se le met en fantaisie, que vous ne preniez, chacun, un bâton, et ne le réduisiez à force de coups, à vous confesser à la fin, ce qu’il vous cachera d’abord. C’est ainsi que nous en usons, quand nous avons besoin de lui.

    VALÈRE.- Voilà une étrange folie !

    MARTINE.- Il est vrai : mais après cela, vous verrez qu’il fait des merveilles.

    VALÈRE.- Comment s’appelle-t-il ?

    MARTINE.- Il s’appelle Sganarelle : mais il est aisé à connaître. C’est un homme qui a une large barbe noire, et qui porte une fraise, avec un habit jaune et vert.

    LUCAS.- Un habit jaune et vert ! C’est donc, le médecin des perroquets .

    VALÈRE.- Mais est-il bien vrai, qu’il soit si habile, que vous le dites ?

    MARTINE.- Comment ? C’est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois, qu’une femme fut abandonnée de tous les autres médecins. On la tenait morte, il y avait déjà six heures : et l’on se disposait à l’ensevelir, lorsqu’on y fit venir de force, l’homme dont nous parlons. Il lui mit, l’ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche : et dans le même instant, elle se leva de son lit, et se mit, aussitôt, à se promener dans sa chambre, comme si de rien n’eût été.

    LUCAS.- Ah !

    VALÈRE.- Il fallait que ce fût quelque goutte d’or potable .

    MARTINE.- Cela pourrait bien être. Il n’y a pas trois semaines, encore, qu’un jeune enfant de douze ans, tomba du haut du clocher, en bas, et se brisa, sur le pavé, la tête, les bras et les jambes. On n’y eut pas plus tôt, amené notre homme, qu’il le frotta par tout le corps, d’un certain onguent qu’il sait faire ; et l’enfant aussitôt se leva sur ses pieds, et courut jouer à la marelle .

    LUCAS.- Ah !

    VALÈRE.- Il faut que cet homme-là, ait la médecine universelle .

    MARTINE.- Qui en doute ?

    LUCAS.- Voilà justement, l’homme qu’il nous faut : allons vite le chercher! 

    VALÈRE.- Nous vous remercions du plaisir que vous nous faites.

    MARTINE.- Mais souvenez-vous bien au moins, de l’avertissement que je vous ai donné.

    LUCAS.- Eh ! Laissez-nous faire, s’il ne tient qu’à battre, la vache est à nous .

    VALÈRE - Nous sommes bien heureux d’avoir fait cette rencontre : et j’en conçois, pour moi, la meilleure espérance du monde.