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Acte I scène 5 MODIF
SCÈNE V
SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS.
SGANARELLE entre sur le théâtre en chantant, et tenant une bouteille.- La, la, la.
VALÈRE.- J’entends quelqu’un qui chante, et qui coupe du bois.
SGANARELLE.- La, la, la... Ma foi, c’est assez travaillé pour boire un coup : prenons un peu d’haleine. (Il boit, et dit après avoir bu.) Voilà du bois qui est salé , comme tous les diables .
Qu’ils sont doux
Bouteille jolie,
Qu’ils sont doux
Vos petits glouglous !
Mais mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! Bouteille ma mie,
Pourquoi vous videz-vous ?Allons, morbleu, il ne faut point engendrer de mélancolie.
VALÈRE.- Le voilà lui-même.
LUCAS.- Je pense que vous dites vrai ![...]
VALÈRE.- Voyons de près.
SGANARELLE, les apercevant, les regarde en se tournant vers l’un, et puis vers l’autre, et, abaissant sa voix, dit.- Ah ! ma petite friponne, que je t’aime, mon petit bouchon .
... Mon sort... ferait... bien des.... jaloux,
Si...Que diable, à qui en veulent ces gens-là ?
VALÈRE.- C’est lui assurément.
LUCAS.- Le voilà tout craché, comme on nous l’a décrit.
SGANARELLE, à part. Ici il pose la bouteille à terre, et Valère se baissant pour le saluer, comme il croit que c’est à dessein de la prendre, il la met de l’autre côté : ensuite de quoi, Lucas faisant la même chose, il la reprend, et la tient contre son estomac, avec divers gestes qui font un grand jeu de théâtre.- Ils consultent en me regardant. Quel dessein auraient-ils ?
VALÈRE.- Monsieur, n’est-ce pas vous qui vous appelez Sganarelle ?
SGANARELLE.- Eh quoi ?
VALÈRE.- Je vous demande, si ce n’est pas vous, qui se nomme Sganarelle .
SGANARELLE, se tournant vers Valère, puis vers Lucas.- Oui, et non, selon ce que vous lui voulez.
VALÈRE.- Nous ne voulons que lui faire toutes les civilités que nous pourrons.
SGANARELLE.- En ce cas, c’est moi, qui se nomme Sganarelle.
VALÈRE.- Monsieur, nous sommes ravis de vous voir. On nous a adressés à vous, pour ce que nous cherchons ; et nous venons implorer votre aide, dont nous avons besoin.
SGANARELLE.- Si c’est quelque chose, Messieurs, qui dépende de mon petit négoce, je suis tout prêt à vous rendre service.
[...]
VALÈRE.- Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous : les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité.
SGANARELLE.- Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du monde, pour faire des fagots.
VALÈRE.- Ah ! Monsieur...
SGANARELLE.- Je n’y épargne aucune chose, et les fais d’une façon qu’il n’y a rien à dire.Les 100 pour 110 sols!
VALÈRE.- Monsieur, ce n’est pas cela, dont il est question.[...]
- Monsieur, nous savons les choses.
SGANARELLE.- Si vous savez les choses, vous savez que je les vends cela.[...]
VALÈRE.- Parlons d’autre façon, de grâce.
SGANARELLE.- Vous en pourrez trouver autre part, à moins : il y a fagots, et fagots. Mais pour ceux que je fais...
VALÈRE.- Eh ! Monsieur, laissons là ce discours.[...]
VALÈRE.- Faut-il, Monsieur, qu’une personne comme vous s’amuse à ces grossières feintes ? s’abaisse à parler de la sorte ? qu’un homme si savant, un fameux médecin, comme vous êtes, veuille se déguiser aux yeux du monde, et tenir enterrés les beaux talents qu’il a ?
SGANARELLE, à part.- Il est fou.
VALÈRE.- De grâce, Monsieur, ne dissimulez point avec nous.
SGANARELLE.- Comment ?
LUCAS.- Tout ce tripotage ne sert à rien, nous savons ce que nous savons!
SGANARELLE.- Quoi donc ? que me voulez-vous dire ? Pour qui me prenez-vous ?
VALÈRE.- Pour ce que vous êtes, pour un grand médecin.
SGANARELLE.- Médecin vous-même : je ne le suis point, et ne l’ai jamais été.
VALÈRE, bas.- Voilà sa folie qui le tient. (Haut.) Monsieur, ne veuillez point nier les choses davantage : et n’en venons point, s’il vous plaît, à de fâcheuses extrémités.
SGANARELLE.- À quoi donc ?
VALÈRE.- À de certaines choses, dont nous serions contrariés.
SGANARELLE.- Parbleu, venez-en à tout ce qu’il vous plaira, je ne suis point médecin : et ne sais ce que vous me voulez dire.
VALÈRE, bas.- Je vois bien qu’il faut se servir du remède. (Haut.) Monsieur, encore un coup, je vous prie d’avouer ce que vous êtes.
LUCAS.- Et bien! Avouez sans détour que vous êtes médecin!
SGANARELLE.- J’enrage.
VALÈRE.- À quoi bon nier ce qu’on sait ?
LUCAS.- Pourquoi toutes ces grimaces inutiles? à quoi est-ce que ça vous sert ?
SGANARELLE.- Messieurs, en un mot, autant qu’en deux mille, je vous dis, que je ne suis point médecin.
VALÈRE.- Vous n’êtes point médecin ?
SGANARELLE.- Non.
LUCAS.- Vous n'êtes pas médecin ?
SGANARELLE.- Non, vous dis-je.
VALÈRE.- Puisque vous le voulez, il faut s’y résoudre .
Ils prennent un bâton, et le frappent. (On coupe)
SGANARELLE.- Ah ! ah ! ah ! Messieurs, je suis tout ce qu’il vous plaira.
VALÈRE.- Pourquoi, Monsieur, nous obligez-vous à cette violence ?
LUCAS.- À quoi bon, nous bailler la peine de vous battre ?
VALÈRE.- Je vous assure que j’en ai tous les regrets du monde.
LUCAS.-[...] J’en suis fâché, franchement.
SGANARELLE.- Que diable est ceci, Messieurs, de grâce, est-ce pour rire, ou si tous deux, vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin ?
VALÈRE.- Quoi ? vous ne vous rendez pas encore : et vous vous défendez d’être médecin ?
SGANARELLE.- Diable emporte, si je le suis.
LUCAS.- Il n’est pas vrai que vous soyez médecin ?
SGANARELLE.- Non, la peste m’étouffe ! (Là ils recommencent de le battre.) Ah, ah. Hé bien, Messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin, je suis médecin, apothicaire encore, si vous le trouvez bon. J’aime mieux consentir à tout, que de me faire assommer.
VALÈRE.- Ah ! voilà qui va bien, Monsieur, je suis ravi de vous voir raisonnable.
LUCAS.- Vous me boutez la joie au cœur, quand je vous vois parler comme ça.
VALÈRE.- Je vous demande pardon de toute mon âme.
LUCAS.- Je vous présente mes excuses...
SGANARELLE, à part.- Ouais, serait-ce bien moi qui me tromperais, et serais-je devenu médecin, sans m’en être aperçu ?
VALÈRE.- Monsieur, vous ne vous repentirez pas de nous montrer ce que vous êtes : et vous verrez assurément, que vous en serez satisfait.
SGANARELLE.- Mais, Messieurs, dites-moi, ne vous trompez-vous point vous-mêmes ? Est-il bien assuré que je sois médecin ?
LUCAS.- Oui, bon sang!
SGANARELLE.- Tout de bon ?
VALÈRE.- Sans doute.
SGANARELLE.- Que le Diable l'emporte, si je le savais !
VALÈRE.- Comment ? Vous êtes le plus habile médecin du monde.
SGANARELLE.- Ah ! ah !
LUCAS.- Un médecin, qui a guéri , je ne sais combien de maladies.
SGANARELLE.- Et ben !
VALÈRE.- Une femme était tenue pour morte, il y avait six heures ; elle était prête à ensevelir, lorsqu’avec une goutte de quelque chose, vous la fîtes revenir, et marcher d’abord, par la chambre.
SGANARELLE.- Peste !
LUCAS.- Un petit enfant de douze ans, se laissa choir du haut d’un clocher, de quoi il eut la tête, les jambes, et les bras cassés ; et vous, avec je ne sais quel onguent, vous fîtes qu’aussitôt, il se releva sur ses pieds, et s’en fut jouer à la marelle.
SGANARELLE.- Diantre !
VALÈRE.- Enfin, Monsieur, vous aurez contentement avec nous : et vous gagnerez ce que vous voudrez, en vous laissant conduire où nous prétendons vous mener.
SGANARELLE.- Je gagnerai ce que je voudrai ?
VALÈRE.- Oui.
SGANARELLE.- Ah ! je suis médecin, sans contredit : je l’avais oublié, mais je m’en ressouviens. De quoi est-il question ? où faut-il se transporter ?
VALÈRE.- Nous vous conduirons. Il est question d’aller voir une fille, qui a perdu la parole.
SGANARELLE.- Ma foi, je ne l’ai pas trouvée.
VALÈRE.- Il aime à rire. Allons, Monsieur.
SGANARELLE.- Sans une robe de médecin ?
VALÈRE.- Nous en prendrons une.
SGANARELLE, présentant sa bouteille à Valère.- Tenez cela vous : voilà où je mets mes potions . (Puis se tournant vers Lucas en crachant.) Vous, marchez là-dessus, par ordonnance du médecin.
LUCAS.- Voilà un médecin qui me plaît ; je pense qu’il réussira ; car il est bouffon.